« Nous devons remettre la recherche au cœur des sites hospitaliers », Pr Bruno Lina, président de l’université Lyon 1

Et si l’université cessait d’être une « boîte noire » pour les professionnels de santé ? Récemment élu à la présidence de l’Université Lyon 1, le Pr Bruno Lina veut faire dialoguer cliniciens et chercheurs et susciter des vocations scientifiques car, dit-il, « la science est passionnante et nous permet de façonner notre avenir ».
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Bruno Lina
Bruno Lina, président de l’Université Lyon 1

Qu’est-ce qui vous a motivé à vous présenter à la présidence de Lyon 1 ?

Ma décision s’est construite par étapes. En 2020, dans un contexte où l’alternance entre des présidences scientifiques et de santé était remise en cause, plusieurs collègues m’ont sollicité, notamment Pierre Cochat et Arnaud Brioude1. Les relations inter-établissements étaient tendues sur le site, un renouvellement s’imposait. Ma candidature m’a permis de siéger quatre ans au conseil d’administration, une période de formation et de constitution d’équipe. J’ai gagné en connaissance de l’Université et en crédibilité, notamment pendant la crise Covid. Ce qui m’effrayait alors ne m’effraie plus, d’autant que je suis aujourd’hui entouré d’une équipe soudée qui a préparé mon projet depuis deux ans. Ma candidature en 2024 s’est donc imposée naturellement.

Quels leviers comptez-vous activer pour renforcer le lien entre recherche, soins et enseignement ?

Lyon 1 est idéalement placée, entre sciences fondamentales et recherche médicale de haut niveau. Des domaines de recherche comme l’IA ou la gestion des bases de données explosent et Lyon doit être moteur de cette recherche. Je souhaite que les cliniciens puissent s’adosser à des laboratoires pour faire émerger des questions de recherche pertinentes et dialoguer avec les scientifiques. Il faut noter qu’aujourd’hui, peu de PU-PH dirigent des unités de recherche : il faut inverser cette tendance. Les jeunes médecins sont curieux, mais manquent de temps ou de structures. Je souhaite qu’ils trouvent à Lyon un espace pour s’épanouir dans la recherche.

Votre modèle, c’est l’IHU ?

C’est un des modèles à suivre L’Institut hospitalo-universitaire (IHU) est un bon exemple d’articulation entre recherche fondamentale, clinique et translationnelle. Celui dédié au foie à la Croix-Rousse est un modèle. Nous devons favoriser ce type de structure, qui permet une véritable intégration des savoirs, et qui donne à Lyon une place de leader dans l’innovation médicale. Nous devons remettre de la recherche au cœur des sites hospitaliers. Par ailleurs, une commission recherche mixte, universitaire et hospitalière, qui n'existe pas aujourd'hui, va être mise en place avec la prochaine CME. Bien qu'il y ait des cultures hospitalière et universitaire différentes, il y a une volonté de rapprochement partagée avec le directeur général des HCL et le président de la CME.

Comment comptez-vous impliquer les enseignants, chercheurs, soignants et étudiants dans la gouvernance ?

Les étudiants et les enseignants chercheurs sont déjà très investis, dans les conseils, les commissions et la gouvernance. Pour les soignants, l’idée est de les sensibiliser à la recherche dès leur formation. Enfin, dès septembre, nous transformerons le comité de coordination des études médicales en comité de coordination des études en santé, incluant toutes les filières de santé, pour mieux promouvoir la recherche.

Quelle place accordez-vous aux patients dans les dispositifs de recherche ?

Le rôle du patient expert est très important et il faut le développer. Un patient expert peut avoir un discours particulier avec les autres patients et partager son expérience vécue de la maladie, ce qu'un médecin ne peut pas faire de la même manière. De ce fait, ils participent à la recherche et sont des atouts. Les patients peuvent orienter la recherche, par exemple via les associations de patients. À titre d’exemple, l'utilisation de l'anticorps monoclonal contre le VRS (virus respiratoire syncytial, ndr) a été un succès grâce à l'adhésion des parents à cette prise en charge préventive de la bronchiolite du nourrisson. Cela montre l'importance de la relation entre les soignants, les patients et les proches.

Vous avez écrit que les personnels hospitalo-universitaires ont une connaissance superficielle de l’université, la considérant comme une « boîte noire », freinant la recherche appliquée dans les services. Comment y remédier ?

Quand on demande à un HU ce que fait l'université d’une manière générale ou pour lui, souvent il n'est pas capable de répondre. Il y a deux fautifs : l'université elle-même et le HU à qui on pose la question. À partir du moment où l'université devient aidante et non un frein, l'HU se tournera vers elle. L'université peut aider les projets d’un chercheur avec du budget et du personnel, grâce à son réseau de recherche national, international, qui permet de faciliter la recherche. Deuxièmement, l'université ne communique pas suffisamment sur ses succès. Cela conduit à un problème d’image. Ce que nous voulons faire est de montrer à quel point Lyon 1 est dynamique, capable de créer un environnement intellectuel et scientifique favorable et en proposant des moyens significatifs.

Vous proposez la création d’une « Health & Science Academy », avec quelle ambition ?

Au-delà des doubles cursus, l'idée est d'avoir une acculturation mutuelle des étudiants en sciences et en santé. Les étudiants en santé connaissent bien la santé mais moins la science, et inversement. L'idée serait d'arriver, via l'évolution de la formation, à proposer des parcours mixtes, par exemple permettre aux étudiants d'être confrontés à un laboratoire de recherche très tôt, dès la troisième année. Cette mixité de formation permettra aux médecins de mieux comprendre la logique des scientifiques et vice-versa. Ainsi, pour un étudiant en santé, s'installer dans une équipe de recherche sera plus simple et cela créera des envies de recherche.

Vous proposez de créer un statut de professionnel de santé entrepreneur. Pourquoi est-ce important que les professionnels de santé s’engagent dans l’entrepreneuriat ?

Parce qu'il y a des capacités de création de start-ups issues des développements actuels. Il faut permettre à un professionnel de santé de dédier une partie de son temps au développement d'un produit d'avenir, avec le soutien de l'institution, si l'idée est jugée bonne. Cela suppose d'avoir des lieux pour héberger ces start-ups en interne. Si ce professionnel publie moins ou soigne moins, il ne doit pas être pénalisé pour autant. Il faut donc trouver comment réguler cela pour qu'il n'y ait pas de frein. Et si la start-up fonctionne, et si elle vend un brevet, il est important que l'université et les HCL puissent récolter des retombées financières. C'est un enjeu important qui demandera des moyens et de l’investissement.

Si vous deviez résumer votre vision en une phrase, quelle serait-elle ?

« La science est passionnante et la connaissance scientifique nous permet de façonner notre avenir. Dans un contexte anxiogène sur fond de changement climatique et d’incertitudes géopolitiques, elle doit permettre d’apporter à la fois des réponses et des pistes pour corriger nos erreurs. »


1 Respectivement président à l’époque du comité consultatif des études médicales et actuel vice-président en charge de la recherche à l’Université Lyon 1.

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