« Notre profession ? Le relationnel avant tout », Isabelle Sage, infirmière coordinatrice du dispositif Emma

Emma, pour équipe mobile maladie d’Alzheimer, représente un recours aussi bien pour les familles et les patients que pour les professionnels de santé quand la situation devient critique.

Isabelle Sage est infirmière aux HCL depuis 35 ans et autant d’années passées en gériatrie. Ce matin elle a rendez-vous avec les soignantes de madame B., diagnostiquée malade d’Alzheimer en 2016, aujourd’hui âgée de 72 ans et résidente dans un établissement pour personnes âgées. L’infirmière coordinatrice s’est déplacée à la demande d’une fille de madame B. et des soignantes.

Elle connaît l’histoire de vie de sa patiente, le contexte familial, et ces troubles qui complexifient la toilette et le soin, à l’origine d’un conflit entre un proche et les soignantes. Insultes, menaces, coups de pied, colère jusqu’au clash, et même, séquestration d’un autre résident par madame B. dans sa chambre, les soignantes sont frustrées de ne pouvoir accomplir sereinement les tâches qui leur sont dévolues.

L’infirmière spécialisée explique les contours des soins infirmiers et leurs limites. En effet, il est hors de question de pratiquer une toilette contre la volonté de la patiente et, pire, en la maintenant de force. « Ce ne sera jamais une patiente facile. C’est elle qui décide de ses horaires. Si vous êtes face à un refus net, il faut l’accepter et s’adapter. » Et de rappeler : « Elle refusait aussi la toilette quand elle vivait chez elle et avait des moments dagressivité. »

Sur ce point, précisément, deux dynamiques s’opposent. D’un côté, le soignant poursuit son objectif qui fonde sa raison d’être : prendre soin et soigner. De l’autre, le refus catégorique de la résidente d’être aidée pour sa toilette.

Une stratégie de soin au quotidien

Prendre le temps de mettre en confiance, accepter de limiter le soin, ne pas l’imposer tous les jours, créer des diversions, favoriser d’autres liens en dehors de ceux du nursing, accepter ses propres limites de soignant en ne perdant pas de vue ses valeurs personnelles… Les conseils sont nombreux et bienvenus. Les soignantes écoutent attentivement, elles qui sont prises dans la routine des jours et la charge de travail inhérente à leur activité.

Après le temps d’échange, l’infirmière de l’équipe mobile se rend dans la chambre de madame B. D’emblée, elle s’assoit sur le lit, entre en relation avec elle, lui prend la main, l’embrasse, la prend dans ses bras. Les diversions sont nombreuses : les photos des enfants et des petits-enfants, la danse, l’évocation d’un souvenir passé, la musique. L’entrain, la bonne humeur et les sourires finissent de mettre en confiance la résidente hier encore récalcitrante.

Progressivement, l’infirmière parvient à mobiliser la patiente qui accepte de prendre son médicament refusé le matin même. Puis, madame B. se lave le visage et les dents, se laisse coiffer. Après de nombreuses négociations et diversions, elle accepte de mettre seule un pull propre. En revanche, ni le tee-shirt ni le pantalon ne seront changés. La toilette aura pris moins d’une demi-heure.

Au sortir de la salle de bain, elle aide les soignantes à faire le lit. Isabelle Sage reprend un temps de pause avec sa patiente avant de l’inviter à sortir de la chambre. Elle part en laissant la porte ouverte. Après quelques minutes, Madame B. franchit le seuil de la porte et vient s’installer dans la salle commune aux côtés des autres résidents, souriante, sans trace aucune d’agressivité.

Des professions à haute valeur ajoutée

L’infirmière en gériatrie rappelle que les troubles du comportement demandent de s’adapter quotidiennement. Elle renseigne sur la possibilité d’une formation de sept heures que délivre l’équipe mobile, soit l’opportunité de mieux comprendre et appréhender les personnes atteintes de troubles neuro-évolutifs. C’est aussi le moyen de gagner en compétences et de valoriser des professions indispensables au bien-être des plus fragiles d’entre nous, souffrant encore trop souvent d’un manque de reconnaissance.

Isabelle poursuit en partageant de nouveaux conseils.

« Avez-vous pensé à faire une promenade avec madame B. ? Avez-vous essayé la salle snoezelen pour l’apaiser ? Chaque jour, il faut s’adapter. Aujourd’hui elle a bien réagi, demain elle agira autrement. »

En 2022, sur les 530 situations signalées à l’équipe mobile, 231 ont donné lieu à au moins une intervention sur le lieu de vie. 41,5 % concernaient des résidents d’établissements pour personnes âgées.

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équipe mobile maladie d’Alzheimer
L'équipe mobile maladie d’Alzheimer. De gauche à droite : Isabelle Sage, infirmière coordinatrice, Clémence Grangé, médecin référente, Blandine Buisson, psychologue, Gaëlle Richard, psychologue et chargée d’étude, Pierre Nicot, médecin junior
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On fait appel à Emma quand la situation devient critique. Son expertise recouvre les soins infirmiers, la psychologie et la médecine (gériatrie, psychiatrie). Emma, pour équipe mobile maladie d’Alzheimer, représente un recours pour les familles, les patients et les professionnels de santé.
Ce recours s’applique à limiter des situations paroxystiques, quand la personne voit ses troubles majorés. Proches et soignants sont alors confrontés à la même difficulté, chacun depuis leur position respective. Agressivité verbale et physique, irritabilité à chaque frustration, insomnie nocturne et endormissement diurne, déambulation, opposition au soin, etc.
Ces symptômes psychologiques et comportementaux de démences (SPCD) sont les principaux facteurs susceptibles de transformer la bienveillance des aidants en maltraitance, quand le quotidien devient de plus en plus intenable. De même, dans les lieux de vie institutionnels, ces symptômes exigent du personnel soignant une compréhension et une adaptation spécifiques.