Soigner en milieu fermé
Elles ne se voient pas changer de service. Pourtant, on ne peut pas dire que les lieux soient des plus accueillants. Ici, pour gagner son poste de travail, il faut franchir plusieurs portes verrouillées et traverser des couloirs sécurisés, sous l’œil des caméras et la vigilance des surveillants. L’unité sanitaire est implantée au cœur même du centre pénitentiaire de Saint-Quentin-Fallavier. Elle prend en charge les six cents détenus répartis dans la maison d’arrêt (détenus en attente de jugement ou condamnés à une peine inférieure à deux ans) et le centre de détention (peine supérieure à deux ans). Dans l’unité, deux services se partagent les soins. Les personnels des Hospices Civils de Lyon assurent les soins médicaux somatiques, et l’équipe du centre hospitalier Le Vinatier, la prise en charge psychiatrique.
De détenu à patient
« On sait rapidement si on est fait pour travailler ici. On ne tiendrait pas plus de quelques mois autrement », a pu constater Caroline*, infirmière à Saint-Quentin Fallavier depuis quinze ans et référente santé publique.
Malgré son exiguïté, l’Unité sanitaire de médecine pénitentiaire compte une salle de radiologie, un cabinet dentaire, une pharmacie, des salles d’examen et de consultation, une petite cuisine faisant aussi office de vestiaire pour les personnels, un secrétariat, une salle de réunion, une salle d’attente aux allures de cellule de garde-à-vue, ainsi que le bureau du surveillant. Ce dernier contrôle les identités ainsi que les entrées et les sorties de ceux qui, en franchissant la porte de l’unité, passent du statut de détenu à celui de patient.
De huit heures à dix-huit heures, les consultations programmées et des arrivants s’enchaînent. Bilans sanguins, électrocardiogrammes, maladies chroniques (diabète, cancer), patients traumatisés ou en situation de dépendance, les soins sont variés. Pas de routine, et surtout, « beaucoup de relationnel », souligne la doyenne des infirmières. « On prend en charge le patient dans sa globalité », renchérit Valérie, infirmière depuis deux ans dans l’unité, « travailler ici donne une grande leçon d’humanité. » Pour Charlotte, sa collègue, « on apprend beaucoup sur soi et sur les autres. »
Toutes trois, passées précédemment par des services hospitaliers en milieu ouvert, relèvent : « Ici plus qu’ailleurs, la reconnaissance est immédiate. Le patient partage sa gratitude. C’est une source de satisfaction et de motivation. On se sent utiles et reconnues.»
Le corps, ultime frontière de liberté
Bénédicte, infirmière depuis sept ans entre ces murs, prévient : « Il faut savoir où l’on met les pieds. » En effet, la prison est un milieu violent où les choses peuvent mal tourner à tout moment. D’ailleurs, l’équipe organise régulièrement des activités de prévention de la violence et d’éducation à la santé dans le respect de la confidentialité des participants.
La plupart du temps, l’unité de soins représente « un lieu de repos, de sérénité », tempère la médecin responsable de l’unité. « Quand on vient d’être incarcéré, le fait de bénéficier d’une consultation médicale est rassurant pour les détenus. » La médecin visite également les quartiers disciplinaires et d’isolement. La prison est son quotidien depuis plus de vingt-deux ans. Sa voix résonne dans le couloir de l’unité sanitaire, faisant écho aux bruits caractéristiques du milieu carcéral. Elle est connue, reconnue et appréciée. Ce caractère bien trempé incarne avec humanité et aussi fermeté cet univers soignant singulier. « Nous représentons une sorte de deuxième famille », témoigne-t-elle, avant d’ajouter : « Pour ces patients, la liberté, c’est de s’exprimer par le corps. Et nous sommes là pour les écouter et les soigner.»
* Afin de préserver l’anonymat des personnels, ils sont identifiés sous des noms d’emprunt.
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