Métatranscriptomique, la nouvelle frontière du diagnostic
Tout commence par un patient dont les symptômes évoquent une maladie infectieuse. Après le premier examen clinique, plusieurs hypothèses étiologiques émergent et des échantillons sont prélevés. L’investigation commence. Si le micro-organisme suspect ne peut être cultivé, la PCR (réaction de polymérisation en chaîne) est utilisée, mais cette technique impose de cibler la recherche. Lorsque les résultats restent négatifs, la métatranscriptomique prend le relais. Aux HCL, le premier diagnostic de ce type remonte à fin 2022. Depuis, plus de cinquante analyses métatranscriptomiques sont réalisées chaque année, positives dans 5 à 10% des cas. Pour ces derniers, elles ont permis non seulement de soigner les patients, dont certains avec un pronostic vital engagé, et aussi de découvrir de nouvelles souches infectieuses.
Un Lassa inconnu
En 2024, l’Institut des agents infectieux reçoit un échantillon d’un hôpital de la région parisienne. Le patient est un militaire partie en opération extérieure. D’abord soigné à Ndjamena (Tchad), souffrant de maux de tête, de vomissements et d’asthénie, il est rapatrié en France et hospitalisé. Sept jours après le début des symptômes, il développe de la confusion et des convulsions, nécessitant son transfert en unité de soins intensifs. Après deux semaines, il sort de l’hôpital avant de déclarer quinze jours plus tard une hydrocéphalie indiquant des séquelles d'encéphalite.
Les premières analyses métatranscriptomiques du liquide céphalorachidien (LCR) obtenues après l'apparition des symptômes révèlent une lignée inconnue d’un virus familier : le virus de Lassa. « Le séquençage du génome a confirmé que les segments appartenaient au genre mammarenavirus1 et étaient plus proches du virus Lassa que d'autres espèces », indique la Pr Laurence Josset, co-responsable scientifique de GENEPII et co-auteure de l’article2 paru en novembre 2025 dans The New England Journal of medecine. « Bien que proche du Nigéria, où sa prévalence est la plus élevée, le virus Lassa n'avait jamais été détecté au Tchad. De plus, les signes cliniques et le profil de dissémination virale dans ce cas de méningoencéphalite détecté uniquement dans le LCR, n'étaient pas typiques de la fièvre de Lassa ».
Ni typique de la fièvre de Lassa, ni jamais détecté au Tchad, ce cas signe l’émergence d’un nouveau mammarenavirus pathogène identifié par analyse métatranscriptomique. « La gravité de la maladie chez cet adulte sain suggère que ce virus a un potentiel pathogène bien qu’aucune preuve de transmission aux contacts du patient n'a été trouvée. Des recherches futures seront nécessaires pour étudier la circulation de ce virus chez les rongeurs et identifier les réservoirs viraux », ajoute la virologue.
L’analyse bioinformatique : une aiguille dans une botte de foin
L’analyse métatranscriptomique repose sur un mélange dense d’ARN humains, viraux, bactériologiques, fongiques et parasites. La métatranscriptomique consiste précisément à lire cet ensemble foisonnant que constituent tous les ARN transcrits par les génomes des organismes présents dans le prélèvement. À ce stade, la masse de données générée est vertigineuse, entre 30 et 70 millions de fragments d’ARN, soit près de cinquante fois plus qu’un séquençage ciblé. Les bioinformaticiens reçoivent ces millions de lectures de séquençage, appelés reads, les nettoient, filtrant les séquences humaines (qui permettent de voir l’impact du pathogène sur l’ARN humain) et ribosomiques (peu informatives), puis les classent et les assemblent « façon puzzle ».
Chaque séquence est ensuite comparée à une vaste base de données locale regroupant les génomes de tous les agents pathogènes connus. « On mesure le pourcentage de similitudes entre les génomes de l’échantillon et les génomes de référence », explique Audrey Lapendry, bioinformaticienne, à qui l’on doit cette bibliothèque locale du vivant. Enfin, les séquences sont comparées au génome de référence du pathogène suspecté. « Si plusieurs reads s’alignent sur le génome suspecté, cela semble confirmer que nous avons bien mis au jour l’agent responsable de l’infection. » C’est ce réalignement final qui transforme le chaos moléculaire initial en une signature précise.
Les biologistes entrent en action
Les biologistes interprètent enfin les résultats à la lumière des données cliniques. Leur expertise tisse les liens entre les symptômes du patient, le contexte clinique et les résultats bioinformatiques. Pour cela, ils s'appuient sur deux notions clés : la quantité et la qualité du matériel génétique retrouvé. Pour rappel, la qualité, c’est la capacité à trouver le génome le plus complet possible. Et la quantité, c’est le nombre de pièces de puzzle ou de lectures de séquençage (les reads) qui correspondent à quelque chose de connu. « Le diagnostic final est établi collectivement par une équipe multidisciplinaire de microbiologistes, virologues, bactériologues, mycologues, parasitologues, bioinformaticiens et ingénieurs. Cette équipe doit faire le tri entre les micro-organismes qui ont un intérêt clinique et ceux qui n'en ont pas, en distinguant le "faux signal" du "vrai signal" », informe le Dr Grégory Destras, biologiste et chercheur en virologie.
Le contexte clinique est fondamental pour l’interprétation. Par exemple, si un micro-organisme est détecté dans le liquide céphalorachidien, il devient le suspect numéro un puisqu’il n’est pas censé s’y trouver. Alors qu’un prélèvement nasopharyngé où l'on trouve de nombreuses bactéries et virus, oblige les microbiologistes à identifier l’agent qui "sort du lot". « Il faut aussi distinguer les agents strictement pathogènes comme les légionelles ou le VIH de ceux qui sont en portage mais peuvent devenir problématiques en cas de déséquilibre du microbiote (dysbiose ou déséquilibre entre les bonnes et les mauvaises bactéries, ndr). »
« 10% des analyses s’avèrent positives. Cependant, certains signaux sont incertains, se situant dans la zone grise. Ces cas nécessitent une confirmation par d’autres techniques, comme des PCR spécifiques ainsi que le recours aux CNR (centre national de référence, ndr) », informe le Dr Aubin Souche, biologiste. Ce diagnostic de recours peut rencontrer d’autres difficultés comme des faux négatifs, quand le virus ou la bactérie recherchée n'est pas présent dans le prélèvement analysé. Par exemple, un virus responsable d'une encéphalite introuvable dans la ponction lombaire, mais présent dans le sang ou les urines. Le diagnostic peut aussi être limité par le fait que le prélèvement n’ait pas été correctement conservé. Enfin, « il arrive aussi que la fenêtre de détection du pathogène soit manquée quand l'infection est fugace. Notre objectif est de détecter le pathogène en cours de réplication, au moment des phases très aiguës de l'infection », explique le Dr Destras.
Du diagnostic au traitement : les étapes vers la guérison
Près d’une vingtaine d’étapes se succèdent sur une semaine, depuis l’extraction du matériel génétique jusqu’à l’interprétation par l’équipe pluridisciplinaire. Au cœur de cette chaîne diagnostique, Richard Chalvignac et Quentin Semanas veillent au grain. Ces deux ingénieurs pilotent la technique, garantissent les protocoles d’utilisation du robot et assurent la formation des techniciens de laboratoire. Ces derniers manipulent des échantillons susceptibles de contenir certains des virus les plus dangereux au monde. Pas de frisson inutile pour autant : les prélèvements sont immergés dans un réactif qui neutralise le risque infectieux. L’enjeu, dans cet environnement parfaitement contrôlé, est ailleurs : éviter la moindre contamination croisée, qui pourrait fausser des résultats entièrement fondés sur la précision des analyses moléculaires.
Les capacités d’analyses métatranscriptomiques sont si étendues que même un virus ou une bactérie inconnue ne manquerait pas d’être détecté. « Il est très peu probable de se retrouver face à un pathogène qui aurait 0% d’homologie avec le moindre micro-organisme répertorié dans les bases de données », précise le Dr Grégory Destras. Le succès de cette technique permet ainsi de débloquer les cas les plus compliqués. Pour exemple, cette année 2025, l’équipe a fait le diagnostic d'une Borrelia, une bactérie de la famille de la maladie de Lyme, chez un patient immunodéprimé souffrant de manifestations neuro-méningées. « Ce patient, qui ne marchait plus, a pu être mis sous traitement immédiatement après confirmation du diagnostic et a connu une récupération clinique vraiment fulgurante », informe la Pr Sophie Jarraud, bactériologue et co-responsable scientifique de GENEPII.
Une technologie révolutionnaire
Pour les experts de la plateforme GENEPII, cette technologie est à l'aube de bouleverser la médecine infectieuse. Elle ouvrira de nouvelles fenêtres de compréhension sur les mécanismes d'infection, notamment le rapport entre le microbiote, les agents externes et le système immunitaire. D’après le Dr Destras, de retour d’un congrès international sur la métagénomique, « à l’avenir, une seule analyse pourrait diagnostiquer si une maladie est infectieuse, auto-immune ou cancéreuse. » Autre prédiction : le délai de rendu actuel pour un résultat effectif d'environ une semaine passerait à une journée grâce au séquençage en temps réel et à l’intelligence artificielle. Enfin, le coût de l'analyse encore élevé actuellement devrait être amené à baisser, à mesure que le nombre de patients analysés augmentera, à l'image de la lecture du génome humain dont le coût a chuté drastiquement au fil des ans.
Après quatre ans, l’expérience acquise aux HCL est précieuse. Elle esquisse la médecine de demain : toujours plus précise, faisant appel à l’ingénierie robotique, assistée par l’informatique et incarnée par des professionnels spécialisés, portés par la volonté inépuisable d’apprendre et de soigner.
1. Les mammarenavirus sont des virus dont le réservoir naturel est un mammifère. Le virus de Lassa est transmis par le rat du Natal, rongeur d’Afrique de l'Ouest. Présent dans l'urine ou les fèces du rongeur, le virus peut infecter les humains par contact direct, par ingestion de nourriture contaminée ou par inhalation de poussière en suspension dans l'air.
2. A mammarenavirus close to Lassa virus in a patient with meningoencephalitis, in New England Journal of medecine, 393;19 nejm.org, November 13, 2025.