Marie Estournet, tête chercheuse en soins infirmiers
Pour l’heure, en ce mois d’octobre 2023, elle a rédigé 80 pages. Il lui en reste plus de 200 à noircir pour achever la rédaction de sa thèse. Nous la rencontrons sur son lieu de travail, à l’École de formation en soins infirmiers Clemenceau, située sur le site de l’hôpital Lyon Sud. Cette doctorante n’est pas une étudiante comme les autres. Née en 1972, c’est donc à plus de cinquante ans qu’elle a choisi d’emprunter à nouveau les voies universitaires. On peut dire que Marie Estournet est bien souvent là où on ne l’attend pas.
Ce parcours, qui continue à s’écrire selon sa volonté de persévérer dans la recherche et l’enseignement, a débuté dans les années 80. Fille d’un cheminot et d’une assistante maternelle, elle ne brille pas spécialement au collège. Elle est orientée vers un BEP sanitaire et social qu’elle obtiendra en 1990. Mais elle décide de ne pas s’en contenter malgré les avis contraires. Pendant les vacances scolaires, elle est agent de service hospitalier à l’hôpital Pierre Garraud. À la rentrée, elle retrouve le chemin du lycée technologique, et passe un baccalauréat « secrétaire médicale ». Elle veut continuer à se former et aussi, pouvoir travailler rapidement afin de prendre son indépendance. Passer le concours d’infirmière semble être l’évidence. Pendant ses études, elle travaille comme aide-soignante à domicile. Et, en 1995, après trois ans et demi, elle peut s’enorgueillir d’être infirmière diplômée d’État.
Son premier poste en clinique lui fait découvrir le monde clos et aseptisé du bloc opératoire. « La pratique au bloc est passionnante. J’ai beaucoup appris aux côtés des chirurgiens. » Faisant fonction d’infirmière de bloc opératoire (Ibode) pendant cinq ans, elle ne validera sa spécialisation avec un diplôme que sept ans plus tard, en 2002.
« Je découvrais qu’il était possible de se spécialiser, de continuer à apprendre, à progresser. Je suis rentré aux HCL parce que j’avais la possibilité d’être formée. Je débute au bloc digestif à l’hôpital de la Croix-Rousse et finit par suivre la formation accessible sur concours à l’Ifsi Clemenceau. »
Une fois diplômée, elle intègrera l’équipe du bloc de gynécologie obstétrique de l’Hôtel-Dieu. C’est là, au bord du Rhône, que la Lyonnaise va confirmer sa trajectoire ascensionnelle.
Premiers pas dans la recherche
« J’ai commencé à me dire qu’il serait intéressant d’écrire et de publier. On était une équipe très soudée, entre les différents soignants et les médecins. La taille du service, les situations vécues favorisaient une ambiance familiale et solidaire. Sous l’égide de nos chefs de service, le Pr Daniel Raudrand aujourd’hui à la retraite, et le Pr François Golfier, actuel chef de service à Lyon Sud, nous avons écrit des articles sur notre pratique professionnelle qui ont fait l’objet de publications. » Ses premiers pas dans la recherche, ou dit-elle, « dans l’expression à l’écrit de mes questionnements professionnels », enrichit le regard que l’infirmière pose sur sa pratique.
Avec la fermeture de l’hôpital historique de la Presqu’Île en 2009, elle migre à l’hôpital Lyon Sud, au bloc d’urologie. « Je me retrouve dans une équipe bienveillante, empathique. Je ne suis pas trop dépaysée. » En 2013, elle passe un autre concours, celui de l’École des cadres de santé et bénéficie d’un financement. « J’avais envie de faire de la gestion et, surtout, besoin de continuer à apprendre. »
Un premier master, puis un deuxième finissent de lui inoculer le virus des études. Sa soif d’apprendre ne semble jamais tarie. En marge de son activité professionnelle, Marie Estournet se passionne pour le sport. Championne de France de canoë kayak entre 2009 et 2012, coureuse d’ultra trail dont le sommital ultra trail du Mont Blanc, soit 171 km et 10 000 mètres de dénivelé positif, elle aime repousser ses limites. Elle décrochera également un record du monde en parapente biplace en 2018 pour un vol de dix heures au-dessus des Alpes. Autre caractéristique de ce parcours ascensionnel : une fois l’objectif atteint, son esprit curieux s’en détourne pour s’atteler à un nouvel horizon. Ce trait de caractère trouve naturellement dans la recherche une source inépuisable d’investigation…
Un nouveau champ des possibles
Après avoir été cadre de santé, elle devient formatrice à l’Ifsi Clemenceau.
« J’avais besoin de comprendre la formation infirmière, l’ingénierie de formation, les logiques qui sous-tendent les savoirs. »
La cadre de santé formatrice ressent intimement le besoin de saisir pleinement ce qui fonde l’enseignement qu’elle prodigue. Elle ne veut pas se contenter de transmettre un savoir tiré de son expérience de terrain. Elle veut approfondir, creuser ce qui fait l’identité des formateurs en soins infirmiers. « J’ai interrogé mes pairs et la plupart ne sait pas vraiment se définir. Ma thématique de recherche en sciences de l’éducation porte plus spécifiquement sur la formation en soins infirmiers. Je pose la problématique de savoir comment la formation initiale peut être un point d’ancrage dans la perspective universitaire des infirmiers. » Autrement dit, porter la réflexion sur la reconnaissance des savoirs infirmiers et non pas seulement de la pratique.
« Le champ disciplinaire des sciences infirmières reste à être développé. Il est important que les infirmiers puissent intégrer des laboratoires de recherche en tant que docteurs en sciences infirmières et ainsi se détacher du joug médical et avoir son identité propre. » Condition pour promouvoir l’universitarisation de la formation en soins infirmiers auprès des étudiants intéressés. Cette année 2023, elle aura participé en tant qu’oratrice à trois colloques internationaux dont le troisième qui s’est déroulé en décembre en lien avec les universités d’Ottawa et de Montréal. « Cette reconnaissance de mes pairs est très encourageante. »
En septembre 2024, la doctorante devra passer devant un jury international. Parmi les examinateurs conviés à la soutenance de sa thèse de doctorat (1), Walter Hesbeen, infirmier et docteur en santé publique, diplômé de l’Université catholique de Louvain, et Dan Lecocq, maître de conférences à l’Université libre de Bruxelles, chercheur en sciences infirmières. Ce n’est pas un hasard si deux membres du jury, sous l’autorité de son directeur de thèse, Alain Fernex, professeur en sciences de l’éducation à l’université Lumière Lyon 2, sont tous deux de nationalité belge. En Belgique, mais aussi au Portugal et au Canada par exemple, l’universitarisation des sciences infirmières a pris de l’avance.
En France, le décret ouvrant la voie à la création de la section de qualification du Conseil national des universités en sciences infirmières (CNU 92) ne date que d’octobre 2019. Cette instance nationale encadre les qualifications, les recrutements et la carrière des maîtres de conférences et des professeurs d'université. La création de la section 92 marque donc une première étape pour rattraper le retard pris par la France et surtout une opportunité de faire avancer les champs de recherche dans la profession infirmière.
(1) Enseignements universitaires et formation professionnalisante. Réflexion pour modèle didactique en science infirmière.
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Article paru dans Tonic, le magazine des Hospices Civils de Lyon