Handicap : pour une prise en charge solidaire, humaine et innovante
Parce qu’il existe autant de situations de handicap que de personnes vivant avec un handicap, il n’est pas toujours facile de répondre à tous les besoins. Malou et Maria en savent quelque chose. Il peut être difficile de vivre avec un handicap dans une société organisée pour tout le monde en général et personne en particulier. Pour autant, il n’y a pas de fatalité. Des actions peuvent être menées pour améliorer le quotidien et rendre la vie plus facile. C’est justement la raison de leur venue aujourd’hui à l’hôpital Edouard Herriot. Elles viennent de participer à la « matinée handi’cap » qui a réuni 80 participants dans le but d’améliorer l’accès aux soins et le parcours des personnes en situation de handicap1. Dynamiques et constructives, toutes deux ont le sentiment d’avoir été utiles. Elles ont pu partager leur expérience du handicap en milieu hospitalier et suggérer des points d’amélioration.
« Notre prénom, c’est Patience ! »
Malou témoigne : « J’avais rendez-vous à l’hôpital Edouard Herriot pour faire une radio. Arrivée à l’accueil, au bureau des admissions, je ne savais pas où aller. J’ai attendu avec Julie, plus d’une heure, pour pouvoir être accompagnée dans le service. » À ses pieds, Julie, un labrador noir spécialement dressé, redresse la tête à l’évocation de son nom. C’est elle qui guide sa maîtresse entre les pavillons de l’hôpital conçu au début du vingtième siècle par l’architecte Tony Garnier. Malou, atteinte d’une rétinite pigmentaire, a perdu la vue tôt dans l’enfance. « L’hôpital est tellement grand que je ne sais jamais où aller », confie-t-elle, « on pourrait envisager des balises sonores, ou un accompagnement spécifique. » À ses côtés, Maria, qui vit les mêmes difficultés, s’exclame : « Notre prénom, c’est Patience ! »
Enjeu de santé publique, toutes les personnes vivant avec un handicap doivent avoir accès à des soins de qualité sans discrimination, comme le réaffirme l’article 25 de la Convention relative aux droits des personnes handicapées des Nations unies. Néanmoins dans la réalité, force est de constater que ce n’est pas toujours le cas : selon la dernière enquête nationale Handifaction (3e trimestre 2022), 22 % des personnes en situation de handicap n’ont pu accéder à des soins du fait de leur handicap.
En tant que deuxième CHU de France et premier acteur de santé au niveau régional, les HCL montrent la voie et multiplient les actions. « Nos missions nous préparent à accueillir des personnes en situation de handicap. Certaines unités sont d’ailleurs spécifiquement tournées vers le handicap. Par exemple, à l'hôpital Edouard Herriot, une consultation de médecine générale accueille les patients sourds et malentendants depuis plusieurs années. Alors, oui, nous sommes préparés mais peut-être pas suffisamment. Nous pouvons faire mieux concernant l’accessibilité de nos hôpitaux, l’appareillage, la formation ou encore la prise en compte des besoins spécifiques de ces usagers. Depuis trois ans, nous menons des actions concrètes en ce sens », exprime le Dr Pierre Leblanc, assistant hospitalo-universitaire à la direction de la qualité, des usagers et de la santé populationnelle et membre du comité de pilotage Handicap des HCL.
Depuis 2016, les HCL mènent des travaux visant à lever tous les obstacles identifiés dans un agenda d’accessibilité programmé (Ad’ap). Ainsi, à fin 2021, 25 % des obstacles avaient été levés, nécessitant un investissement de 2,6 millions d’euros. Bien entendu, toute opération de construction ou de rénovation dans le cadre de la réorganisation des activités intègre également le respect des règles d’accessibilité et les dimensions du handicap. En 2022, le projet Orientation patient (Pop) a vu le jour afin d’améliorer la signalétique et de mettre en place un outil numérique de navigation.
Les défis de l'accessibilité : un cas d'école
La question de l’accessibilité relève aussi de l’égal accès aux soins de santé, qu’il s’agisse d’actes thérapeutiques, diagnostiques ou de prévention. Sur ces trois points, les soins dentaires font figure de cas d’école. « L’accessibilité physique des cabinets de ville ne permet pas toujours la prise en charge de personnes en situation de handicap et en forte perte d’autonomie. Les temps d’attente avant de pouvoir obtenir une consultation dentaire sont très longs, quand ils ne sont pas refusés par manque de formation et de moyens. En attendant, les patients souffrent. La plupart du temps, ils n’ont pas d’autre choix que de subir une anesthésie générale pour un soin dentaire en dernier recours », soulève Rosa Alcazar, investie depuis plusieurs années dans l’Adapei 69 (association métropolitaine et départementale de parents et amis de personnes handicapées mentales) et mère d’Hadrien, 36 ans, dont la paralysie cérébrale empêche toute communication verbale.
Même constat chez le Pr Jean-Christophe Farges, chef du service de soins dentaires et d'odontologie hospitalière des HCL : « Dans le contexte de pénurie médicale à l’échelle nationale, le délai de consultation chez un chirurgien-dentiste de ville est d’autant plus long pour les patients en situation de handicap et en perte d’autonomie qui nécessitent une prise en charge rapide, adaptée, avec des équipements spécialisés. La plupart des praticiens de ville ne sont pas équipés ni formés à la prise en charge de ces patients, souvent complexe, avec des besoins spécifiques peu valorisés par l’assurance maladie. »
Au centre de soins dentaires des HCL, ces patients sont pris en charge principalement par le Pr Pierre Farge, spécialiste en médecine bucco-dentaire et responsable du DES éponyme. Quand une anesthésie générale est indiquée, il intervient à l'hôpital nord-ouest de Tarare (HNOT), dans le cadre d’un projet de développement territorial. Cette activité de recours en chirurgie ambulatoire soigne aussi bien des adultes que des enfants.
Depuis 2014, 150 à 200 patients sont pris en charge chaque année. Les enfants en situation de handicap sont également reçus dans l’unité d’odontologie pédiatrique du centre de soins dentaires par les Pr Jean-Jacques Morrier et Béatrice Thivichon-Prince. Toutefois, cette offre hospitalière ne suffit pas à répondre à la très forte demande et les délais d’attente sont souvent de plusieurs mois, voire plus. À cela s’ajoutent des contraintes des locaux. Ceux du centre de soins dentaires sont mal adaptés à la prise en charge de ce profil de patients : locaux inaccessibles aux patients en brancard, ascenseur trop étroit pour les fauteuils roulants larges, bâtiment insuffisamment sécurisé pour les patients désorientés, pas d’accueil ni de salle d’attente séparés des autres patients, nombre de box de soins fermés insuffisant. « Cette situation devrait s’améliorer avec la création du nouveau plateau ambulatoire de médecine bucco-dentaire en cours de création au pavillon T de l'hôpital Edouard Herriot et dont l’ouverture est prévue pour 2025 », ajoute le chef de service.
D’après le Réseau santé bucco-dentaire et handicap Rhône-Alpes (SBDH-RA), 4 000 personnes sont en attente d’une prise en charge sous anesthésie générale dans le Rhône. C’est pour y remédier en partie que, en collaboration avec la fondation Sévigné et soutenus par l’Agence régionale de santé (ARS), les HCL explorent les possibilités de mettre en place des soins adaptés aux patients en situation de handicap physique ou mental qui peuvent être réalisés en ville. Un état des lieux et la quantification des besoins sont en cours pour préciser les parcours à prévoir.
La place des aidants au centre des préoccupations
Améliorer la prise en charge des personnes en situation de handicap passe aussi par la place donnée aux aidants. Les contraintes d’organisation des services hospitaliers ou des personnels insuffisamment préparés peuvent freiner l’accès aux soins. « Ce n’est pas toujours facile d’intégrer l’aidant dans nos organisations, mais plus nous ferons entrer l’aidant dans la prise en charge, plus les soignants adopteront cette culture du partenariat », confie Laurence Cengia, cadre de santé en chirurgie orthopédique. « On accepte plus naturellement la place de l’aidant quand le patient est un enfant, mais en tant que mère d’un enfant polyhandicapé âgé de 36 ans qui ne verbalise pas, ma place à ses côtés pendant certains soins et dans son parcours de santé est indispensable », explique Rosa Alcazar. « La question quant à l’existence de situations de handicap demande à être posée en amont et en aval des consultations, dans le but de préserver l’autonomie et la dignité des personnes. Et d’y associer les aidants quand ils le souhaitent et le peuvent, les professionnels de santé de ville, etc. », analyse-t-elle.
Pour Gwénaëlle Thual patiente et aidante coordinatrice des HCL, « il ne fait pas de doute que les mentalités évoluent et que les hospitaliers cherchent de plus en plus à faire équipe avec les aidants dans le cadre de leurs pratiques professionnelles ». Dans les groupes de travail qui se sont réunis en octobre dernier, toutes les personnes présentes s’accordaient pour dire l’importance de la présence humaine au plus près de la personne vivant avec un handicap. Rappelons également que les HCL ont signé, en 2021, une convention de partenariat avec l’association Métropole Aidante pour soutenir et accompagner les aidants dans leur quotidien.
Sensibiliser, former et accompagner
De leur côté, les professionnels de santé ont soif de formations. Tous sont fortement motivés pour améliorer la prise en charge. Une volonté confortée parfois par des expériences insatisfaisantes vécues sur le terrain, telle celle de Sophie Pacaud, manipulatrice en électroradiologie médicale à l’hôpital Edouard Herriot : « En moyenne, nous sommes confrontés au moins une fois par semaine à des situations où l’on se sent démuni, parfois blessant. En effet, lors de la venue d'un patient présentant un déficit moteur, par exemple, une anticipation de la situation nous permettrait d'adapter le matériel et aussi le personnel, afin d'améliorer sa prise en charge et répondre à ses besoins. Une information en amont est nécessaire. »
C’est justement pour préparer l’amont des consultations que Julie Racinet, secrétaire médicale en immunologie et rhumatologie, propose pertinemment : « Des actions simples peuvent d’ores et déjà être mises en place. Sensibiliser les personnels aux handicaps bien sûr, et pour les secrétaires, oser demander au patient s’il est en situation de handicap, permettraient de préparer sa venue et de mieux l’accueillir. » Et d’ajouter: « Il est important que les personnels administratifs puissent également bénéficier de formations. »
La campagne vidéos "Regards croisés", cofinancée par les HCL et la Fondation HCL, conçue pour sensibiliser les professionnels à l’accueil, à l’accessibilité et à la place des aidants dans le parcours du patient en situation de handicap, participe concrètement de cette démarche inclusive.
De même, la signature des chartes Romain-Jacob par les hôpitaux Renée Sabran, Henry Gabrielle et Edouard Herriot dans un premier temps, marque une étape majeure dans la vie d’un établissement pour s’engager dans une dynamique locale, questionner les pratiques et améliorer ce qui peut l’être.
La sensibilisation commence dès la formation initiale puisque « du côté universitaire, des stages d’immersion dans des structures médicosociales ont été créés pour les étudiants en deuxième année de médecine de la faculté Lyon Sud », complète Pierre Leblanc. Pour ce dernier, il ne fait pas de doute que « ces projets et d’autres encore accompagnent un changement dans la perception que nous avons du handicap et vont contribuer à améliorer le soin pour chacun d’entre nous ».
Un cercle vertueux
Prendre en compte les particularités de chaque patient, c’est relever le défi quotidien de faire évoluer les pratiques, avancer les recherches et progresser l’enseignement. C’est partager la vocation de soigner et prendre soin de chaque patient, quelles que soient sa situation et ses pathologies, tout au long de sa vie. Nous tous, avons à gagner dans l’amélioration de la prise en compte du handicap. Elle permet aux professionnels de monter en compétences, de mieux répondre aux besoins des patients et de leurs proches et de rendre l’hôpital plus attractif, plus serein et toujours plus humain.
Le handicap, source d’innovation : nouvel appel à projets PAIR
Les HCL et la Métropole de Lyon ont lancé une deuxième édition de leur appel à projets Pair pour faire émerger des solutions visant à améliorer le parcours de soins des personnes en situation de handicap, en lien avec un recours hospitalier (quels que soient le type et le motif de recours).