Corinne Dupont, première sage-femme professeure des universités
La création de la section maïeutique, en 2019, au sein du Conseil national des universités (CNU) pour les disciplines médicales a marqué une avancée pour la profession de sage-femme. Pour les titulaires d’un doctorat et d’une habilitation à diriger les recherches (HDR), elle a donné la possibilité de candidater pour les fonctions de maître de conférences et de professeur des universités (1).
Diplômée en 1992, Corinne Dupont a débuté sa carrière à la clinique Champ Fleuri en 1992 (Décines, Rhône), puis à l’hôpital Edouard Herriot dans le service de gynécologie-obstétrique du Pr Jean-Marie Toulon, en 1993. En 1995, elle se forme à l’échographie obstétricale puis, deux ans plus tard, à la médecine fœtale.
En 1999, à l’occasion d’un diplôme interuniversitaire sur l’évaluation de la qualité en médecine, elle fait la rencontre des professeurs qui ont marqué sa vie professionnelle.
« Les Pr Cyrille Colin, René Écochard et Yves Matillon aux Hospices Civils de Lyon m’ont appris à interroger la qualité des soins. J’ai été interpelée par le fait que les premières réformes hospitalières dans le domaine dataient des années 70 alors que, dès les années 30, l’industrie s’était intéressée à la qualité de leurs prestations. »
Dès lors, la volonté d’améliorer la qualité des soins pour éviter que des événements indésirables surviennent ne la quittera plus.
Comprendre pour agir
Au début des années 2000, à la lecture d’un rapport sur la mortalité maternelle, elle apprend que 80 % des décès maternels dus à une hémorragie du post-partum sont évitables, ces hémorragies étant alors la première cause de mortalité maternelle. « J’ai donc décidé de suivre une maîtrise en santé publique puis un DEA afin de comprendre les systèmes de santé et d’en savoir plus sur leur méthode d’évaluation. » Il lui faut prendre un congé professionnel de plusieurs mois pour suivre les cours de l’Ifross (Institut de formation et de recherche sur les organisations sanitaires et sociales, Université Jean Moulin, Lyon 3), sous la direction du Pr Jean-Pierre Claveranne.
« Choquée par cette proportion conséquente de cas évitables de décès maternels, je suis montée à Paris afin de rencontrer l’auteure de l’étude : Marie-Hélène Bouvier-Colle. Je voulais comprendre, recueillir son avis. »
Femme de réflexion et d’action, la chercheure finit par proposer aux professionnels des maternités l’idée de revoir en équipe leurs cas d’hémorragies graves (revue de morbi mortalité, RMM) et une valise d’urgence, disponible en cas d’hémorragie du post-partum dans la salle d’accouchement, dotée du protocole, des instruments adéquats, des demandes d’analyses préremplies, de la liste actualisée des médecins de garde etc. Ce projet, l’étude Pithagore, coordonné par deux équipes de recherche à Paris et Lyon a fédéré 106 maternités (population de près de 150 000 accouchements).
Aujourd’hui, cette valise se décline dans certaines maternités sous la forme d’un chariot d’urgence permettant une prise en charge rapide et rationnelle. Ce qui n’était qu’un projet de recherche au départ a permis de sensibiliser et de mobiliser durablement les équipes des maternités sur cette pathologie. En 2021, toute cette mobilisation a probablement contribué dans l’amélioration de la qualité de la prise en charge de ces hémorragies, puisqu’elles ne sont plus la première cause de mortalité maternelle.
Améliorer les pratiques cliniques
Ses recherches suivantes la conduisent à interroger l’usage de l’oxytocine, cette molécule de synthèse mise sur le marché en 1970, que les sages-femmes et les médecins utilisent lors du travail. Car si l’on sait que l’ocytocine, l’hormone naturelle, intervient dans le déclenchement du travail, dans la force et la fréquence des contractions utérines, l’étude Pithagore précédemment citée a également montré que l'oxytocine (la molécule de synthèse) multipliait par 1,8 le risque d’hémorragie grave du post-partum, ce sur-risque augmentant avec la dose d’hormone administrée pendant le travail.
Ainsi, Corinne Dupont a été la coordinatrice des premières Recommandations pour la pratique clinique (RPC) sur l’utilisation de l’oxytocine pendant le travail spontané menées par le Collège national des sages-femmes(CNSF) en collaboration avec le Collège national des gynécologues-obstétriciens français.
En 2003, elle devient la sage-femme coordinatrice du réseau périnatal Aurore (2) créé par le Pr René-Charles Rudigoz alors gynécologue-obstétricien aux Hospices Civils de Lyon et actuel membre de l’Académie nationale de médecine.
« Le Pr René-Charles Rudigoz a de grandes qualités cliniques et relationnelles. À ses côtés, j’ai beaucoup appris », partage-t-elle, reconnaissante.
L’objectif de ce réseau est de fournir des soins de qualité aux femmes enceintes et aux nouveaux nés par la mise en adéquation de la pathologie de la mère et du nouveau-né avec la structure qui les prend en charge.
Cette régionalisation des soins a permis que 88 % des enfants de moins de 32 semaines naissent aujourd’hui dans une structure adaptée contre 15 % en 1991. Le réseau qui réunit à ce jour 24 maternités est maintenant dirigé par le Pr Pascal Gaucherand, du service de gynécologie-obstétrique de l’hôpital Femme Mère Enfant. « Le Pr Gaucherand œuvre avec les mêmes qualités que son prédécesseur pour améliorer la qualité des soins », souligne C. Dupont.
À l’écoute des femmes enceintes
En 2018, aux côtés du Pr Pascal Gaucherand, Corinne Dupont débute une nouvelle recherche avec un autre sage-femme chercheur, Laurent Gaucher. L’étude, dont les Hospices Civils de Lyon sont le promoteur principal, vise à évaluer la proportion de femmes rapportant des gestes, actes médicaux, paroles, et/ou des attitudes gênantes ou blessantes parmi les femmes ayant accouché dans l’une des 26 maternités du réseau périnatal Aurore. Les objectifs sont de « caractériser les violences obstétricales selon leur nature et le moment de survenue. Et évaluer le risque de dépression du post-partum et d’état de stress post-traumatique. » Sur 803 femmes qui ont accouché, plus de 627 ont accepté de répondre.
Les résultats, publiés en février 2021 (3), mettent en évidence l’importance de la prise en considération par les soignants de la douleur et des attentes des patientes pendant l’accouchement. Et de recommander :
« Le soin doit évoluer. Il appartient aux professionnels de santé de donner le niveau d’informations suffisant, de savoir ce que les femmes comprennent dans le but qu’elles puissent décider comment elles souhaitent être prises en charge. Cela doit se faire tout au long de la grossesse, lors de l’accouchement et en post-partum. »
Transmettre une information claire, crédible et accessible et communiquer avec empathie éviterait ainsi que « ce qu’elles vivent ne correspondent pas à leurs attentes et besoins et soit source d’insatisfaction. Cela est primordial dans la construction du lien mère-enfant. »
Sécurité émotionnelle des professionnels
La sage-femme et chercheure concentre également sa réflexion sur les ressources humaines. « Au début des années 2000, quand survenait un événement tragique, son analyse collégiale était peu fréquente si ce n’est inexistante. » Or, pour la sage-femme et tous ceux impliqués dans la prise en charge, le débriefing est plus que nécessaire : « Il ne s’agit pas de désigner des responsables mais de comprendre pourquoi à tel moment le système a été défaillant et, surtout, de savoir comment réagir dans de telles circonstances pour éviter la répétition de tels dysfonctionnements. »
Cette culture de la sécurité des soins implique tous les professionnels de santé.
« C’est comme dans une équipe de football. Ce n’est pas parce que vous réunissez les meilleurs joueurs que vous obtiendrez les meilleurs résultats. De même, ce n’est pas parce que vous aurez les meilleurs chirurgiens sur un plateau technique que vous aurez les meilleurs soins s’ils ne communiquent pas et s’ils ne sont pas d’accord sur la prise en charge. »
En obstétrique, la coordination des spécialités est primordiale, « Dans la survenue d’un événement critique, nous avons pu constater que la communication était un facteur déterminant dans la gestion de la prise en charge. » Raison pour laquelle la sage-femme préconise « l’écoute des équipes, des temps d’échange et de partage, la prise en compte de la sécurité émotionnelle des professionnels, notamment quand un évènement indésirable est survenu. »
Une reconnaissance qui se fait attendre
Titulaire d’un doctorat en 2009 puis d’une habilitation à diriger les recherches en 2016, Corinne Dupont est désormais enseignante-chercheure à temps plein grâce au soutien « des médecins, de chercheurs du laboratoire RESHAPE (Research on healthcare performance) qui m’ont accueillie, notamment Anne Marie Schott et Antoine Duclos ainsi que celui de Raymond Le Moign, directeur général et Olivier Claris, ex-président de la commission médicale d’établissement des HCL ».
Elle cumule sa fonction de professeure universitaire et son poste de coordinatrice du réseau Aurore aux Hospices Civils de Lyon sous forme « d’activité accessoire » pour rester au plus près du terrain. En effet, le statut bi-appartenant hospitalo-universitaire des médecins leur permettant à la fois de cumuler les activités universitaires (enseignement et recherche) avec une activité clinique sans avoir une diminution de rémunération liée au changement de statut, n’est pas encore possible pour les sages-femmes qui ont un statut uniquement universitaire.
« Les mentalités évoluent. Ce poste est la résultante du travail de tout un groupe et des actions menées par le CNSF auprès du ministère pour la reconnaissance de notre profession. La collaboration entre les sages-femmes et les médecins est indispensable pour assurer la qualité et la sécurité de la prise en charge des femmes et de leur nouveaux-nés. Nous sommes complémentaires des médecins auxquels nous faisons appel en cas de pathologie. Notre discipline est médicale à compétences limitées, cependant nous avons toute légitimité pour développer la recherche en maïeutique, comme par exemple sur la physiologie du travail. J’espère que d’autres sages-femmes, comme Laurent Gaucher, pourront également localement être cités au titre de professeur des universités. »
Article rédigé en octobre 2021
(1) Au sein de la section maïeutique (CNU 90).
(2) Association des utilisateurs du réseau obstétrico-pédiatrique régional.
(3) Gaucher L, Huissoud C, Ecochard R, et al; the AURORE Group. Women’s dissatisfaction with inappropriate behavior by health care workers during childbirth care in France: A survey study. Birth. 2021; 00:1–10. https://doi.org/10.1111/birt.12542
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