La conciliation médicamenteuse, rempart contre l’iatrogénie

Aux HCL, la conciliation médicamenteuse se structure et monte en puissance depuis 2018 pour prévenir les erreurs liées aux traitements lors des transitions de soins. Si son efficacité est prouvée, l’activité reste peu connue. Décryptage d’un dispositif essentiel à la sécurité du parcours patient.

La Haute Autorité de santé la définit comme « un processus formalisé qui prend en compte, lors d'une nouvelle prescription, tous les médicaments pris et à prendre par le patient. Elle associe le patient et repose sur le partage d'informations et sur une coordination pluriprofessionnelle ».

Issue d’une expérimentation lancée par l’OMS en 2006 puis intégrée aux référentiels de la Haute Autorité de santé (HAS), la conciliation médicamenteuse fait aujourd’hui partie des critères de certification des établissements et du contrat d’amélioration de la qualité des établissements de santé (CAQES). Deux guides de la HAS encadrent sa pratique : un document général et un second spécifique à l’oncologie.

La conciliation médicamenteuse se structure dans les établissements hospitaliers français. Elle vise à sécuriser la prise en charge médicamenteuse lors des moments critiques de transfert des patients : à l’entrée, à la sortie ou lors des transferts entre deux services. L’entretien d’entrée et de sortie sont des piliers de la conciliation médicamenteuse avec des objectifs différents :

  • à l’entrée, c’est une des sources d’information et l’entretien permet aussi d’explorer des problèmes d’adhésion du patient au traitement,
  • à la sortie, il s’agit plus d’expliquer au patient les modifications de traitements apportées lors de l’hospitalisation et les médicaments à poursuivre au domicile.

« On agit à un moment charnière, quand les risques d’omission d’un traitement habituel du patient, de doublons ou d’erreurs de dose sont les plus élevés », explique Delphine Hoegy, pharmacien clinicien au groupement hospitalier Est des HCL.

Recueil d’information : trois sources prioritaires

Aux HCL, un groupe de pharmaciens cliniciens pilote l’activité depuis 2018. Le nombre de conciliations à l’admission des patients a triplé en six ans, atteignant près de 3 000 en 2024. L’organisation repose actuellement sur la mobilisation d’étudiants en pharmacie et d’internes formés et encadrés par des pharmaciens seniors. Ils établissent un bilan médicamenteux complet dès l’admission du patient.

« Le recueil d’informations s’appuie sur un minimum de trois sources prioritaires que sont l’entretien avec le patient ou un proche, le contact avec le pharmacien d’officine ou le médecin traitant, et l’analyse du dossier informatisé. C’est une enquête à part entière qui peut s’avérer chronophage », détaille la Pr Audrey Janoly-Dumenil, pharmacien à l’hôpital Édouard Herriot. « La notion de trois sources, comme indiqué dans les référentiels de la HAS, est importante pour obtenir un bilan le plus exhaustif possible de ce que prend le patient à domicile », ajoute-t-elle.

Détection des erreurs et correction en temps réel

Le bilan médicamenteux est ensuite comparé au traitement prescrit à l’hôpital pour repérer d’éventuelles divergences non justifiées. Créé par le groupe transversal de pharmaciens des HCL, un outil informatisé sur Easily directement accessible depuis le dossier patient permet de catégoriser ces écarts, qui sont ensuite analysés et corrigés en lien avec le médecin prescripteur. Il peut s’agir par exemple d’oublis de traitements, d’erreurs de fréquence de prise d’un médicament, etc. « Dans certains cas, c’est un événement iatrogène grave évité », soulignent les deux coordinatrices de ce groupe transversal.

Tout aussi important pour sécuriser la transition hôpital-ville, la conciliation médicamenteuse de sortie reste difficile à systématiser. Elle suppose une anticipation souvent peu compatible avec les pratiques hospitalières. « La sortie du patient est parfois décidée le matin pour l’après-midi, ce qui laisse peu de temps pour la communication avec l’équipe pharmaceutique », commente Delphine Hoegy. Et pourtant, cette étape est déterminante pour :

  • éviter les ruptures de traitement,
  • améliorer la compréhension par le patient des changements de traitement durant l’hospitalisation,
  • assurer une transmission claire des modifications aux professionnels de santé de ville.

Les informations sont transmises via une messagerie sécurisée (MonSisra) aux médecins traitants et aux pharmaciens de ville, renforçant ainsi le lien ville-hôpital.

Fort impact sur la qualité des soins

Faute de pouvoir généraliser cette pratique structurée à tous les patients, les pharmaciens travaillent à mettre en place des critères de priorisation en collaboration avec les médecins : admissions via les urgences, âge avancé, polymédication, pathologies multiples, parcours patients complexes.

Mais la conciliation reste une activité chronophage. Elle mobilise en moyenne 60 à 90 minutes par patient à l’entrée, selon la difficulté de collecte des informations. Pour autant, cette activité fait partie des critères de certification HAS car elle a montré son efficacité grâce à l’étude européenne Med’Rec, néanmoins elle reste peu connue en dehors des services qui la pratiquent. Aux HCL, les pratiques et les retombées évaluées à travers plusieurs études1 montrent que la conciliation médicamenteuse permet de corriger des erreurs de prescription ayant un impact sur la santé des patients.

Un enjeu collectif

« La sécurisation du parcours thérapeutique du patient est un enjeu collectif », rappelle la Pr Audrey Janoly-Dumenil. En effet, la conciliation médicamenteuse n’est pas une affaire de pharmaciens. Si le cœur du dispositif repose sur eux actuellement, des synergies sont essentielles avec les médecins et les infirmiers. Quant aux préparateurs en pharmacie, ils commencent à être intégrés dans le processus.

« La conciliation médicamenteuse est un levier essentiel de la qualité des soins, du renforcement du lien ville-hôpital, tout en rendant le patient acteur de sa santé. Elle mérite d’être reconnue à la hauteur de son impact », plaident les deux spécialistes en pharmacie clinique. Le développement d’outils d’alerte et de priorisation automatisée, ainsi qu’un meilleur ancrage dans les pratiques interprofessionnelles en partenariat avec le patient, pourraient permettre à la conciliation médicamenteuse de franchir un nouveau cap en sécurisant un peu plus encore les parcours de soin.

 

(1) Yailian et al -  Pharm  Clin  2022 Doi : 10.1016/j.phacli.2022.06.002. Martin J et al  -  J Clin Pharm Ther. 2022;47(7):956-963. Barral  M et al  - Clin Interv Aging. 2021;16:1857-1867

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Définition
L'iatrogénie est l'ensemble des conséquences néfastes de tout acte ou mesure pratiqué ou prescrit par un professionnel de santé visant à préserver, améliorer ou rétablir la santé.